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La passion d'évangéliser

Dernière mise à jour : 13 mars 2023

Le zèle apostolique du croyant

1. L’appel à l’apostolat (Mt 9,9-13)


Aujourd'hui, nous commençons un nouveau cycle de catéchèse, consacré à un thème urgent et décisif pour la vie chrétienne : la passion de l'évangélisation, c'est-à-dire le zèle apostolique. Il s'agit d'une dimension vitale pour l'Église : la communauté des disciples de Jésus naît en effet apostolique, elle naît missionnaire, non pas prosélyte, et dès le début nous devions faire cette distinction : être missionnaire, être apostolique, évangéliser n'est pas la même chose que de faire du prosélytisme, rien à voir entre une chose et l'autre. C'est une dimension vitale pour l'Église, la communauté des disciples de Jésus naît apostolique et missionnaire. L'Esprit Saint la configure en sortie - l'Église en sortie, qui sort -, afin qu'elle ne soit pas repliée sur elle-même, mais extravertie, témoin contagieux de la foi de Jésus, également -, résolue à rayonner sa lumière jusqu'aux extrémités de la terre. Il peut se trouver, cependant, que l'ardeur apostolique, le désir d'atteindre les autres à travers la bonne annonce de l'Évangile, diminue, devienne tiède. Parfois, il semble s’éclipser, ce sont des chrétiens repliés sur eux-mêmes, ils ne pensent pas aux autres. Mais quand la vie chrétienne perd de vue l'horizon de l'évangélisation, l'horizon de l'annonce, elle devient malade : elle se referme sur elle-même, elle devient autoréférentielle, elle s'atrophie. Sans zèle apostolique, la foi se flétrit. La mission, est en revanche l'oxygène de la vie chrétienne : elle la tonifie et la purifie. Commençons alors un parcours pour redécouvrir la passion évangélisatrice, en partant des Écritures et de l'enseignement de l'Église, pour puiser le zèle apostolique à ses sources. Puis nous nous approcherons de quelques sources vives, de quelques témoins qui ont ravivé dans l'Église la passion de l'Évangile, afin qu'ils nous aident à rallumer le feu que l'Esprit Saint veut faire brûler toujours en nous.


Et aujourd’hui, je voudrais commencer par un épisode évangélique en quelque sorte emblématique nous l’avons entendu : l'appel de l'apôtre Matthieu, c’est lui-même qui raconte dans son Évangile, dans le passage que nous avons écouté (cf. 9,9-13).


Tout commence avec Jésus, qui "voit" - dit le texte - "un homme". Peu de gens voyaient Matthieu tel qu'il était : ils le connaissaient comme celui qui était "assis au guichet des impôts" (v. 9). Il était en fait un collecteur d'impôts, c'est-à-dire qu'il collectait les impôts pour le compte de l'empire romain qui occupait la Palestine. En d'autres termes, il était un collaborateur, un traître du peuple. Nous pouvons imaginer le mépris que les gens éprouvaient à son égard, c'était un "publicain", ainsi le désignait-on. Mais, aux yeux de Jésus, Matthieu est un homme, avec ses misères et sa grandeur. Faites attention à cela : Jésus ne s'arrête pas aux adjectifs, Jésus cherche toujours le substantif. " Celui-ci est un pécheur, celui-ci est tel pour lequel... " sont des adjectifs : Jésus va à la personne, au cœur, c'est une personne, c'est un homme, c'est une femme, Jésus va à la substance, au substantif, jamais à l'adjectif, oubliez les adjectifs. Et alors qu'il y a une distance entre Matthieu et son peuple - parce qu'ils voyaient l'adjectif "publicain" - , Jésus s'approche de lui, parce que tout homme est aimé de Dieu : "Même ce malheureux ?" Oui, même ce malheureux, en effet, Il est venu pour ce malheureux, l'Evangile dit : "Je suis venu pour les pécheurs, non pour les justes". Ce regard de Jésus qui est très beau, qui voit l'autre, quel qu'il soit, comme le destinataire de l'amour, est le prélude de la passion évangélisatrice. Tout part de ce regard, que nous apprenons de Jésus.


Nous pouvons nous demander : quel est notre regard sur les autres ? Combien de fois voyons-nous leurs défauts et non leurs besoins ; combien de fois étiquetons-nous les gens par ce qu'ils font ou par ce qu’ils pensent ! Même en tant que chrétiens, nous nous disons : est-il des nôtres ou non ? Ce n'est pas le regard de Jésus : Lui regarde toujours chaque personne avec miséricorde et en fait avec prédilection. Et les chrétiens sont appelés à faire comme le Christ, en regardant comme lui, en particulier ceux que l'on appelle "les lointains". En fait, le récit de l'appel de Matthieu se termine par la déclaration de Jésus : "Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs" (v. 13). Et si chacun de nous se sent juste, Jésus est loin, Lui il se rapproche de nos limites et de nos misères, pour nous guérir.


Tout commence donc par le regard de Jésus qui " vit un homme ", Matthieu. Il s'ensuit - deuxième étape - un mouvement. D'abord le regard, Jésus regarde, puis la seconde étape, le mouvement. Matthieu était assis sur le banc des impôts ; Jésus lui dit : "Suis-moi". Et il " se leva et le suivit " (v. 9). Nous notons que le texte souligne que "il se leva". Pourquoi ce détail est-il si important ? Car à l'époque, celui qui était assis avait autorité sur les autres, qui se tenaient devant lui pour l'écouter ou, comme dans ce cas, pour lui payer un tribut. Celui qui était assis, en somme, avait le pouvoir. La première chose que fait Jésus, c'est de détacher Matthieu du pouvoir : de l'être assis pour recevoir les autres, il le met en mouvement vers les autres, il ne reçoit pas, non : il va vers les autres ; il lui fait abandonner une position de suprématie pour le mettre sur un pied d'égalité avec ses frères et sœurs et lui ouvrir les horizons du service. C'est ce qu’il fait et c'est fondamental pour les chrétiens : nous, disciples de Jésus, nous l'Église, restons-nous assis à attendre que les gens viennent, ou savons-nous nous lever, nous mettre en route avec les autres, chercher les autres ? C'est une position non chrétienne que de dire : "Mais qu'ils viennent, je suis là, qu'ils viennent." Non, toi vas les chercher, toi fais le premier pas.


Un regard - Jésus a regardé -, un mouvement - il se lève - et enfin, une mission. Après s'être levé et avoir suivi Jésus, où Matthieu ira-t-il ? On pourrait imaginer qu'après avoir changé la vie de cet homme, le Maître le conduise vers de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences spirituelles. Non, ou du moins pas immédiatement. D'abord, Jésus se rend chez lui ; là, Matthieu lui prépare " un grand banquet ", auquel " participe une grande foule de publicains " (Lc 5, 29) 'est-à-dire des gens comme lui. Matthieu retourne dans son environnement, mais il y retourne, transformé et avec Jésus. Son zèle apostolique ne commence pas dans un lieu nouveau, pur, et un lieu idéal, lointain, mais là, il commence où il vit, avec les gens qu'il connaît. Voici le message pour nous : nous ne devons pas attendre d'être parfaits et d'avoir parcouru un long chemin derrière Jésus pour témoigner de lui ; notre annonce commence aujourd'hui, là où nous vivons. Et cela ne commence pas en essayant de convaincre les autres, convaincre non : mais en témoignant chaque jour de la beauté de l'Amour qui nous a regardés et nous a relevés, et c'est cette beauté, en communiquant cette beauté qui convaincra les gens, non pas en communiquant nous-mêmes, mais le même Seigneur. Nous sommes ceux qui annoncent le Seigneur, nous ne nous annonçons pas nous-mêmes, ni nous n'annonçons un parti politique, une idéologie, non : nous annonçons Jésus. Nous devons mettre Jésus en contact avec les gens, sans les convaincre, mais en laissant le Seigneur convaincre. Comme nous l'a en effet enseigné le pape Benoît, "L'Eglise ne fait pas de prosélytisme. Elle se développe plutôt par "attraction"" (Homélie lors de la messe inaugurale de la cinquième Conférence générale de l'épiscopat d'Amérique latine et des Caraïbes, Aparecida, 13 mai 2007). N'oubliez pas ceci : quand vous voyez des chrétiens faire du prosélytisme, dresser une liste de personnes à venir... ce ne sont pas des chrétiens, ce sont des païens déguisés en chrétiens mais le cœur est païen. L'Église ne grandit pas par prosélytisme, elle grandit par attraction. Une fois, je me souviens que dans l'hôpital de Buenos Aires, les religieuses qui y travaillaient sont parties parce qu'elles étaient peu nombreuses et qu'elles ne pouvaient pas faire fonctionner l'hôpital, et une communauté de religieuses de Corée est arrivée, disons lundi par exemple, je ne me souviens plus du jour. Elles ont pris la maison des religieuses à l'hôpital et le mardi, elles sont descendues visiter les malades à l'hôpital, mais elles ne parlaient pas un mot d'espagnol, elles ne parlaient que le coréen et les malades étaient heureux, car ils commentaient : " Braves ces religieuses, braves, braves " - Mais que t'a dit la religieuse ? "Rien, mais avec le regard elle m'a parlé, elles ont communiqué Jésus". Non pas communiquer elles-mêmes, mais avec le regard, avec les gestes, communiquer Jésus. C'est l'attraction, le contraire du prosélytisme.


Ce témoignage attrayant, ce témoignage joyeux est la mission vers laquelle Jésus nous conduit par son regard d'amour et par le mouvement de sortie que son Esprit suscite dans le cœur. Et nous pouvons nous demander si notre regard ressemble à celui de Jésus pour attirer les gens, pour les rapprocher à l'Église. Pensons-y.


2. Jésus modèle de l’annonce


Mercredi dernier, nous avons ouvert un cycle de catéchèse sur la passion d'évangéliser, c’est-à-dire sur le zèle apostolique qui doit animer l'Église et tout chrétien. Aujourd'hui, nous nous penchons sur le modèle suprême de l'annonce : Jésus. L'Évangile du jour de Noël l'a défini comme le " Verbe de Dieu " (cf. Jn 1, 1). Le fait qu'il soit le Verbe, la parole, nous indique un aspect essentiel de Jésus : il est toujours en relation, toujours en sortie, jamais isolé, toujours en relation, en sortie ; la parole, en effet, existe pour être transmise, communiquée. Il en est de même pour Jésus, Parole éternelle du Père adressée à nous, communiquée à nous. Christ n'a pas seulement les paroles de vie, mais fait de sa vie une Parole, un message : il vit, pour ainsi dire, toujours tourné vers le Père et vers nous. Toujours en regardant le Père qui l'a envoyé et en nous regardant, nous vers qui il a été envoyé.


En effet, si nous regardons ses journées, décrites dans les Évangiles, nous voyons qu'en premier lieu il y a l'intimité avec le Père, la prière, pour laquelle Jésus se lève tôt, quand il fait encore nuit, et va dans des zones désertes pour prier (cf. Mc 1,35 ; Lc 4,42)pour parler avec le Père. Toutes les décisions et tous les choix plus importants il les prend après avoir prié (cf. Lc 6,12 ; 9,18). C'est précisément dans cette relation, dans la prière qui le lie au Père dans l'Esprit, que Jésus découvre le sens de son être d'homme, de son existence dans le monde parce que Lui est en mission pour nous, envoyé par le Père à nous.


À cet égard, le premier geste public qu'Il pose, après les années de vie cachée à Nazareth, est intéressant. Jésus ne fait pas un grand prodige, il ne lance pas un message sensationnel, mais se mêle aux gens qui allaient se faire baptiser par Jean. Il nous offre ainsi la clé de son agir dans le monde : se dépenser pour les pécheurs, en étant solidaire de nous sans distance, dans le partage total de la vie. En effet, en parlant de sa mission, il dira qu'il n’est pas venu "pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie" (Mc 10,45). Chaque jour, après la prière, Jésus consacre toute sa journée à l'annonce du Royaume de Dieu et la consacre aux personnes, en particulier les plus pauvres et les plus faibles, les pécheurs et les malades (cf. Mc 1,32-39). C'est-à-dire que Jésus est en contact avec le Père dans la prière et ensuite il est en contact avec tous les gens pour la mission, pour la catéchèse, pour enseigner le chemin du Royaume de Dieu.


Or, si nous voulons représenter son style de vie par une image, nous n'avons aucune difficulté à la trouver : Jésus lui-même nous l'offre, Jésus lui-même nous l'offre, nous l'avons bien entendu, en se présentant comme le Bon Pasteur, celui qui - dit-il - "donne sa vie pour les brebis" (Jn 10,11), c’est Jésus. En effet, être pasteur n'était pas seulement un travail, qui demandait du temps et beaucoup d'engagement, c'était un véritable mode de vie : vingt-quatre heures sur vingt-quatre, vivre avec le troupeau, l'accompagner au pâturage, dormant parmi les brebis, prenant soin des plus faibles. Jésus, en d'autres termes, ne fait pas quelque chose pour nous, mais donne tout, donne sa vie pour nous. Son cœur est un cœur pastoral (cf. Ez 34,15). Il fait le pasteur avec nous tous.


En effet, pour résumer l'action de l'Église en un mot, le terme "pastoral" est souvent utilisé. Et pour évaluer notre travail pastoral, nous devons nous confronter au modèle, nous confronter avec Jésus, Jésus le bon pasteur. Avant tout, nous pouvons nous demander : l'imitons-nous en nous abreuvant aux sources de la prière, afin que nos cœurs soient en syntonie avec le sien ? L'intimité avec Lui est, comme le suggère le beau volume de l'abbé Chautard, « l'âme de tout apostolat ». Jésus lui-même a dit clairement à ses disciples : "Sans moi, vous ne pouvez rien faire" (Jn 15,5). Si l'on est avec Jésus, on découvre que son cœur pastoral bat toujours pour qui est perdu, égaré, lointain. Et le nôtre ? Combien de fois notre attitude avec les personnes un peu difficiles ou qui sont un peu difficiles s'exprime par ces mots : " Mais c'est son problème, qu'il se débrouille... ". Mais Jésus n'a jamais dit cela, jamais, mais il est toujours allé à la rencontre des marginaux, des pécheurs. On l'a accusé de cela, d'être avec les pécheurs, parce qu'il leur apportait le salut de Dieu.


Nous avons entendu la parabole de la brebis perdue au chapitre 15 de l'Évangile de Luc (cf. vv. 4-7). Jésus parle aussi de la pièce de monnaie perdue et du fils prodigue. Si nous voulons former notre zèle apostolique, le chapitre 15 de Luc devrait toujours être sous nos yeux. Lisez-le souvent, là nous pourrons comprendre ce qu'est le zèle apostolique. Là, nous découvrons que Dieu ne reste pas à contempler l’enclos de ses brebis, ni ne les menace pour qu'elles ne s'en aillent pas. Au contraire, si quelqu'un sort et se perd, il ne l'abandonne pas, mais la cherche. Il ne dit pas : "Elle est partie, c'est sa faute, c'est son affaire !". Le cœur pastoral réagit d'une autre manière : le cœur pastoral souffre et le cœur pastoral risque. Il souffre : oui, Dieu souffre pour qui s’en va, et en le pleurant, il l’aime d'autant plus. Le Seigneur souffre lorsque nous nous éloignons de son cœur. Il souffre pour ceux qui ne connaissent pas la beauté de son amour et la chaleur de son étreinte. Mais, en réponse à cette souffrance, il ne se renferme pas, mais au contraire prend des risques : il laisse les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont en sécurité et s'aventure à la recherche de celle qui manque, faisant ainsi quelque chose d’hasardeux et même d'irrationnel, mais en consonnance avec son cœur pastoral, qui éprouve de la nostalgie pour qui s’en est allé. La nostalgie pour ceux qui sont partis est constante en Jésus. Et lorsque nous apprenons que quelqu'un a quitté l'Église, que disons-nous ? "Qu'il se débrouille". Non, Jésus nous enseigne la nostalgie de ceux qui sont partis ; Jésus n'a ni colère ni ressentiment, mais une nostalgie irréductible de nous. Jésus se languit de nous, et c'est le zèle de Dieu.


Et je me demande : nous, avons-nous des sentiments similaires ? Peut-être considérons-nous ceux qui ont quitté le troupeau comme des adversaires ou des ennemis. "Et celui-là ? - Non, il est parti ailleurs, il a perdu la foi, l'enfer l'attend...', et nous sommes tranquilles. En les rencontrant à l'école, au travail, dans les rues de la ville, pourquoi ne pas penser plutôt que nous avons une bonne occasion de leur témoigner la joie d'un Père qui les aime et ne les a jamais oubliés ? Non pas pour faire du prosélytisme, non ! Mais pour que là arrive la Parole du Père, pour marcher ensemble. Évangéliser n'est pas faire du prosélytisme : faire du prosélytisme est une chose païenne, ce n'est ni religieux ni évangélique. Il y a une bonne parole pour ceux qui ont quitté le troupeau, et nous avons l'honneur et la responsabilité d'être ceux qui expriment cette parole. Parce que la Parole, Jésus, nous demande cela, de nous approcher toujours, avec un cœur ouvert, de tous, parce que Lui est comme cela. Peut-être suivons-nous et aimons-nous Jésus depuis si longtemps et ne nous sommes-nous jamais demandé si nous partageons ses sentiments, si nous souffrons et risquons en syntonie avec le cœur de Jésus, avec ce cœur pastoral, proche du cœur pastoral de Jésus ! Il ne s'agit pas de faire du prosélytisme, je l’ai dit, pour que les autres soient "des nôtres”, non, cela n’est pas chrétien : il s’agit d'aimer pour qu'ils soient des enfants heureux de Dieu. Demandons dans la prière la grâce d'un cœur pastoral, ouvert, qui se tienne proche de tous, pour apporter le message du Seigneur et aussi pour sentir pour chacun la nostalgie du Christ. Parce que, sans cet amour qui souffre et qui risque, notre vie ne va pas bien : si nous, chrétiens, n'avons pas cet amour qui souffre et qui risque, nous risquons de ne paître que nous-mêmes. Les pasteurs qui sont pasteurs d'eux-mêmes, au lieu d'être pasteurs du troupeau, sont des coiffeurs de brebis "exquises". Nous ne devons pas être les pasteurs que de nous-mêmes, mais les pasteurs de tous.


3. Jésus maitre de l’annonce


Mercredi dernier nous avons réfléchi sur Jésus modèle de l’annonce, sur son cœur de pasteur toujours tendu vers les autres. Aujourd’hui, nous le regardons comme maître de l’annonce . Laissons-nous guider par l’épisode où Il prêche dans la synagogue de son village, Nazareth. Jésus lit un passage du prophète Isaïe (cf. 61, 1-2) et surprend ensuite tout le monde avec une «prédication» très courte, d’une seule phrase, une seule phrase. Et il dit: «Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre» (Lc 4, 21). Voilà la prédication de Jésus: «Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre». Cela signifie que pour Jésus, ce passage prophétique contient l’essentiel de ce qu’il veut dire de lui-même. Donc, chaque fois que nous parlons de Jésus, nous devons retrouver cette première annonce de sa part.


Voyons alors en quoi consiste cette première annonce. Cinq éléments essentiels peuvent être identifiés.


Le premier élément est la joie. Jésus proclame: «L’Esprit du Seigneur est sur moi; [...] il m’a envoyé porter la joyeuse nouvelle aux pauvres» (v. 18), c’est-à-dire une annonce de bonheur, de joie. La joyeuse nouvelle: on ne peut pas parler de Jésus sans joie, car la foi est une merveilleuse histoire d’amour à partager. Témoigner de Jésus, faire quelque chose pour les autres en son nom, c’est dire entre les lignes de sa vie d’avoir reçu un don si beau que nulle parole ne peut l’exprimer. Au contraire, quand manque la joie, l’Evangile ne passe pas, parce qu’il est — la parole elle-même le dit — une bonne annonce, et Evangile veut dire bonne annonce, annonce de joie. Un chrétien triste peut parler de belles choses mais tout cela est vain si l’annonce qu’il transmet n’est pas joyeuse. Un penseur disait: «Un chrétien triste est un triste chrétien»: n’oublions pas cela.


Venons-en au deuxième aspect: la libération . Jésus dit qu’il a été envoyé «pour proclamer aux prisonniers la libération» (ibid.). Cela signifie que celui qui annonce Dieu ne peut pas faire de prosélytisme, non, ne peut pas faire pression sur les autres, mais les soulager: ne pas imposer de fardeaux, mais les décharger; apporter la paix, ne pas apporter la culpabilité. Bien sûr, suivre Jésus implique une ascèse, comporte des sacrifices; après tout, si toute bonne chose l’exige, encore plus la réalité décisive de la vie! Toutefois, celui qui témoigne du Christ montre la beauté de l’objectif, plutôt que la fatigue du chemin. Il nous sera déjà arrivé de raconter à quelqu’un un beau voyage que nous avons fait. Par exemple, nous aurons parlé de la beauté des lieux, de ce que nous avons vu et vécu, pas du temps pour s’y rendre et des files d’attente à l’aéroport, non! Ainsi, toute annonce digne du Rédempteur doit communiquer la libération. Comme celle de Jésus. Aujourd’hui, il y a la joie, parce que je suis venu libérer.


Troisième aspect: la lumière. Jésus dit qu’il est venu apporter «la vue aux aveugles» (ibid.). Il est frappant de constater que dans toute la Bible, avant le Christ, jamais la guérison d’un aveugle n’apparaît, jamais. Il s’agissait en effet d’un signe promis qui viendrait avec le Messie. Mais ici, il ne s’agit pas seulement de la vue physique, mais d’une lumière qui fait voir la vie d’une manière nouvelle. Il y a un «retour à la lumière», une renaissance qui ne se produit qu’avec Jésus. Si nous y réfléchissons, c’est ainsi que la vie chrétienne a commencé pour nous: avec le baptême, qui jadis était appelé précisément «illumination». Et quelle lumière Jésus nous apporte-t-il? Il nous apporte la lumière de la filiation : Il est le Fils bien-aimé du Père, vivant pour toujours; et avec Lui, nous sommes aussi des enfants de Dieu, aimés pour toujours, malgré nos fautes et nos défauts. Alors la vie n’est plus une avancée aveugle vers le néant, non: elle n’est pas une question de chance ou de destin, elle n’est pas quelque chose qui dépend du hasard ou des étoiles, ni même de la santé ou des finances, non. La vie dépend de l’amour, de l’amour du Père, qui prend soin de nous, ses enfants bien-aimés. Comme il est beau de partager cette lumière avec les autres! Avez-vous pensé que la vie de chacun de nous — ma vie, ta vie, notre vie — est un geste d’amour? Est une invitation à l’amour? C’est merveilleux! Mais souvent, nous oublions cela, face aux difficultés, face aux mauvaises nouvelles, et aussi face — et cela est triste — à la mondanité, à la façon mondaine de vivre.


Quatrième aspect de l’annonce: la guérison. Jésus dit être venu «libérer les opprimés» (ibid.). Les opprimés sont ceux qui se sentent écrasés dans la vie par quelque chose qui arrive: les maladies, les difficultés, les fardeaux du cœur, la culpabilité, les erreurs, les vices, les péchés...


Opprimés par cela: pensons par exemple aux sentiments de culpabilité. Combien d’entre nous souffrent de cela? Pensons un peu à un sentiment de culpabilité vis-à-vis de cela, de cette autre chose... Ce qui nous opprime, par-dessus tout, c’est précisément ce mal même qu’aucun médicament ou remède humain ne peut guérir: le péché. Et si quelqu’un a un sentiment de culpabilité pour quelque chose qu’il a fait; et qu’il se sent mal.. Mais la bonne nouvelle est qu’avec Jésus, ce mal ancien, le péché, qui semble invincible, n’a plus le dernier mot. Je peux pécher parce que je suis faible. Chacun de nous peut le faire, mais cela n’est pas le dernier mot. Le dernier mot est la main tendue de Jésus qui te relève du péché. Et, combien de fois fait-il cela? Une fois? Non. Deux? Non. Trois? Non. Toujours. Chaque fois que tu ne vas pas bien, le Seigneur tend toujours la main. Il suffit de s’agripper et de se laisser porter. La bonne nouvelle est qu’avec Jésus, ce mal ancien n’a plus le dernier mot: le dernier mot est la main tendue de Jésus qui te fait avancer. Jésus nous guérit toujours du péché. Et combien dois-je payer pour la guérison? Rien. Il nous guérit toujours et gratuitement. Il invite tous ceux qui sont «fatigués et opprimés» — il le dit dans l’Evangile — il invite à venir à Lui (cf. Mt 11, 28). Ainsi, accompagner quelqu’un à la rencontre de Jésus, c’est l’amener chez le médecin du cœur, qui soulage sa vie. C’est dire: «Frère, sœur, je n’ai pas de réponses à tant de tes problèmes, mais Jésus te connaît, Jésus t’aime, il peut te guérir et rasséréner ton cœur». Celui qui porte des fardeaux a besoin d’une caresse sur son passé. Tant de fois nous entendons: «Mais j’aurais besoin de guérir mon passé... J’ai besoin d’une caresse sur ce passé qui me pèse tant...». Il a besoin de pardon. Et ceux qui croient en Jésus ont précisément cela à donner aux autres: la force du pardon de Dieu, qui libère l’âme de toute dette. Frères, sœurs, n’oublions pas: Dieu oublie tout. Comment cela se fait-il? Oui, il oublie tous nos péchés, il ne s’en souvient pas. Dieu pardonne tout parce qu’il oublie nos péchés. Il suffit de s’approcher du Seigneur et il nous pardonne tout. Pensez à quelque chose de l’Evangile, à celui qui a commencé à parler: «Seigneur, j’ai péché!». Ce fils... Et le père lui met la main devant la bouche. «Non, cela va bien, rien...». Il ne le laisse pas finir... Et cela est beau. Jésus nous attend pour nous pardonner, pour nous guérir. Et combien? Une fois? Deux fois? Non. Toujours. «Mais père, je fais toujours les mêmes choses...» Et lui aussi fera toujours les mêmes choses: te pardonner, t’embrasser. S’il vous plaît, ayons confiance en cela. C’est ainsi que nous aime le Seigneur. Que celui qui porte des poids et a besoin d’une caresse sur le passé, qui a besoin de pardon, qu’il sache que Jésus le fait. Et c’est cela que donne Jésus: libérer l’âme de toute dette. Dans la Bible, on parle d’une année au cours de laquelle on était libéré du fardeau des dettes: le Jubilé, l’année de grâce. Comme si c’était le dernier point de l’annonce.


Jésus dit en effet être venu «proclamer l’année de grâce du Seigneur» (Lc 4, 19). Ce n’était pas un jubilé planifié, comme ceux que nous faisons à présent, où tout est programmé et on pense à comment faire et ne pas faire... non. Mais avec le Christ, la grâce qui rend la vie nouvelle arrive toujours et émerveille toujours. Le Christ est le jubilé de tous les jours, de toute heure, il s’approche de toi pour te caresser, te pardonner. Et l’annonce de Jésus doit toujours apporter l’émerveillement de la grâce .


Cet émerveillement... «Je ne peux pas y croire, j’ai été pardonné, j’ai été pardonnée». Mais notre Dieu est si grand! Car ce n’est pas nous qui faisons de grandes choses, mais c’est la grâce du Seigneur qui, également à travers nous, accomplit des choses imprévisibles. Et ce sont les surprises de Dieu. Dieu est un maître des surprises. Il nous surprend toujours, il nous attend toujours. Nous arrivons, et Lui attend. Toujours. L’Evangile s’accompagne d’un sentiment d’émerveillement et de nouveauté qui a un nom: Jésus.


Qu’il nous aide à le proclamer comme il le souhaite, en communiquant joie, libération, lumière, guérison et émerveillement. C’est ainsi que l’on communique Jésus.


Une dernière chose: cette joyeuse annonce , dont parle l’Evangile, est adressée «aux pauvres» (v. 18). Nous les oublions souvent, pourtant ce sont les destinataires explicitement mentionnés, car ils sont les bien-aimés de Dieu. Souvenons-nous d’eux, et souvenons-nous que, pour accueillir le Seigneur, chacun de nous doit se faire «pauvre intérieurement».


Avec cette pauvreté qui fait dire... «Seigneur, j’ai besoin de pardon, j’ai besoin d’aide, j’ai besoin de force». Cette pauvreté que nous avons tous: se faire pauvre à l’intérieur. Il s’agit de vaincre toute prétention à l’autosuffisance pour se reconnaître comme ayant besoin de la grâce, ayant toujours besoin de Lui. Si quelqu’un me dit: Père, mais quel est le chemin le plus bref pour rencontrer Jésus? Aie besoin. Aie besoin de grâce, aie besoin de pardon, aie besoin de joie. Et il s’approchera de toi.


4. Le premier apostolat


Nous poursuivons nos catéchèses ; le thème que nous avons choisi est : “La passion d'évangéliser, le zèle apostolique”. Parce qu'évangéliser, ce n'est pas dire : "Regarde, blablabla" et rien de plus ; il y a une passion qui mobilise tout : l'esprit, le cœur, les mains, aller... tout, toute la personne est impliquée dans cette proclamation de l'Évangile, et c'est pourquoi nous parlons de passion d'évangéliser. Après avoir vu en Jésus le modèle et le maître de l'annonce, passons aujourd'hui aux premiers disciples, à ce que les disciples ont fait. L'Évangile dit que Jésus « en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle » (Mc 3, 14) deux choses : pour qu’ils restent avec Lui et les envoyer prêcher. Il y a un aspect qui semble contradictoire : Il les invite pour être avec Lui et pour qu’ils aillent prêcher. On dirait : soit l'un, soit l'autre, soit rester, soit aller. Pourtant non : pour Jésus, on ne peut aller sans rester et inversement on ne peut rester sans aller. Ce n'est pas facile à comprendre, mais c'est ainsi. Cherchons de comprendre un peu quel est le sens dans lequel Jésus exprime ces choses.


Tout d'abord, on ne peut aller sans rester : avant d'envoyer les disciples en mission, le Christ - dit l'Évangile - "les appelle à lui" (cf. Mt 10,1). L'annonce naît de la rencontre avec le Seigneur ; toute activité chrétienne, et surtout la mission, part de là. On n'apprend pas dans une académie : non ! Cela commence par la rencontre avec le Seigneur. Témoigner de Lui, en effet, signifie Le rayonner ; mais, si nous ne recevons pas Sa lumière, nous serons éteints ; si nous ne Le fréquentons pas, nous porterons nous-même au lieu de Lui - je me porte moi-même et non Lui -, et cela sera totalement vain. Donc, peut porter l'Évangile de Jésus la personne qui reste avec Lui. Celui qui ne reste pas avec Lui ne peut pas porter l'Evangile. Il apportera des idées, mais pas l'Évangile. De même, cependant, on ne peut rester sans aller. En effet, suivre le Christ n'est pas un acte intimiste : sans annonce, sans service, sans mission, la relation avec Jésus ne croît pas. Notons que dans l'Évangile, le Seigneur envoie les disciples avant d'avoir achevé leur préparation : peu après les avoir appelés, il les envoie déjà ! Cela signifie que l'expérience de la mission fait partie de la formation chrétienne. Rappelons alors ces deux moments constitutifs pour tout disciple : rester avec Jésus et aller, envoyés par Jésus.


Après avoir appelé les disciples à lui et avant de les envoyer, le Christ leur adresse un discours, connu comme le "discours missionnaire" – c’est ainsi qu’on le définit dans l’Evangile. Il se trouve au chapitre 10 de l'Évangile de Matthieu et est comme la " constitution " de l'annonce. De ce discours, dont je vous recommande la lecture aujourd’hui - c’est une petite page seulement de l’Evangile -, je tire trois aspects : pourquoi annoncer, quoi annoncer et comment annoncer.


Pourquoi annoncer. La motivation réside dans cinq paroles de Jésus, qu'il est bon de rappeler : "Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement" (v. 8). Cela fait cinq mots. Mais pourquoi annoncer ? Parce que j'ai reçu gratuitement et que je dois donner gratuitement. L'annonce ne part pas de nous, mais de la beauté de ce que nous avons reçu gratuitement, sans mérite : rencontrer Jésus, le connaître, découvrir que nous sommes aimés et sauvés. C'est un don si grand que nous ne pouvons le garder pour nous, nous ressentons le besoin de le répandre ; mais dans le même style, c’est-à-dire dans la gratuité. En d'autres termes : nous avons un don, nous sommes donc appelés à nous faire don ; nous avons reçu un don et notre vocation est de nous transformer en don pour les autres ; nous éprouvons la joie d'être enfants de Dieu, elle doit être partagée avec nos frères et sœurs qui ne la connaissent pas encore ! C'est cela la justification de l'annonce. Aller et porter la joie de ce que nous avons reçu.


Deuxièmement : Quoi, donc, annoncer ? Jésus dit : "proclamez que le royaume des Cieux est tout proche " (v. 7). Voici ce qu'il faut dire, avant tout et en tout : Dieu est proche. Mais n'oubliez jamais ceci : Dieu a toujours été proche du peuple, Il le dit Lui-même au peuple. Il dit : "Regardez, quel Dieu est aussi proche des nations comme je le suis de vous ?". La proximité est l'une des choses les plus importantes de Dieu. Il y a trois choses importantes : la proximité, la miséricorde et la tendresse. Il ne faut pas l'oublier. Qui est Dieu ? Le Proche, le Tendre, le Miséricordieux. Telle est la réalité de Dieu. Dans la prédication, nous incitons souvent les gens à faire quelque chose, et c'est bien, mais n'oublions pas que le message principal est que Lui est proche : proximité, miséricorde et tendresse. Accueillir l'amour de Dieu est plus difficile parce que nous voulons toujours être au centre, nous voulons être protagonistes, nous sommes plus enclins à faire qu'à nous laisser modeler, à parler qu'à écouter. Mais, si ce que nous faisons passe en premier, nous serons encore les protagonistes. Au contraire, l'annonce doit donner la primauté à Dieu : laisser la primauté à Dieu, Dieu au premier plan, et donner aux autres l'opportunité de l'accueillir, de se rendre compte qu'il est proche. Et moi, derrière.


Troisième point : comment annoncer. C'est l'aspect sur lequel Jésus s'attarde le plus : comment annoncer, quelle est la méthode, quelle doit être le langage pour annoncer ; c’est significatif : il nous dit que la manière, le style est essentiel dans le témoignage. Le témoignage n'implique pas seulement l'esprit et le fait de dire quelque chose, des concepts : non. Il implique tout, l'esprit, le cœur, les mains, tout, les trois langages de la personne : le langage de la pensée, le langage de l'affection et le langage de l'action. Les trois langages. On ne peut pas évangéliser seulement avec l'esprit ou seulement avec le cœur ou seulement avec les mains. Tout participe. Et, dans le style, l'important est le témoignage, comme le veut Jésus. Il dit ceci : " Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups " (v. 16). Il ne nous demande pas d'être capables d'affronter les loups, c'est-à-dire d'être capables d'argumenter, de contre-argumenter et de nous défendre : non. Nous penserions ainsi : devenons pertinents, nombreux, prestigieux, et le monde nous écoutera et nous respectera et nous vaincrons les loups : non, ce n’est pas ainsi. Non, je vous envoie comme des brebis, comme des agneaux - voilà ce qui est important. Si tu ne veux pas être brebis, le Seigneur ne te défendra pas contre les loups. Arrange-toi comme tu peux. Mais si tu es brebis, sois assuré que le Seigneur te défendra contre les loups. Être humbles. Il nous demande d'être ainsi, d'être doux et avec le désir d’être innocents, d’être prêts au sacrifice ; c'est ce que représente en fait l'agneau : douceur, innocence, dévouement, tendresse. Et Lui, le berger, reconnaîtra ses agneaux et les protégera des loups. Au lieu de cela, des agneaux déguisés en loups sont démasqués et malmenés. Un Père de l'Église écrivait : "Tant que nous serons des agneaux, nous vaincrons, et même si nous sommes entourés de nombreux loups, nous les vaincrons. Mais si nous devenons des loups, nous serons vaincus, car nous serons privés de l'aide du berger. Il ne fait pas paître les loups, mais les agneaux" (Saint Jean Chrysostome, Homélie 33 sur l'Évangile de Matthieu). Si je veux être au Seigneur, je dois laisser que Lui soit mon berger, et Lui n'est pas un berger de loups, Il est un berger d'agneaux, doux, humbles, agréables au Seigneur.


Toujours sur comment annoncer, il est frappant de constater que Jésus, au lieu de prescrire ce qu'il faut apporter en mission, dit ce qu'il ne faut pas apporter. Parfois, on voit quelque apôtre, une personne qui déménage, un chrétien qui dit qu'il est apôtre et qu'il a donné sa vie au Seigneur, et il emporte tant de bagages : mais ce n'est pas du Seigneur, le Seigneur te déleste de l'équipage et te dit ce qu'il ne faut pas emporter : "Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni sac de voyage, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton" (v. 9-10). Ne rien emporter. Il dit de ne pas s'appuyer sur les sécurités matérielles, d'aller dans le monde sans mondanité. Voilà ce qu'il faut dire : je vais dans le monde non pas avec le style du monde, non pas avec les valeurs du monde, non pas avec la mondanité - pour l'Église, tomber dans la mondanité est le pire qui puisse arriver. J'y vais avec simplicité. Voilà comment on annonce : en montrant Jésus plutôt qu'en parlant de Jésus. Et comment montrons-nous Jésus ? Par notre témoignage. Et enfin, en allant ensemble en communauté : le Seigneur envoie tous les disciples, mais personne ne va seul. L'Église apostolique est toute missionnaire et dans la mission elle retrouve son unité. Donc : aller doux et bons comme des agneaux, sans mondanité, et aller ensemble. C'est là que se trouve la clé de l'annonce, voilà la clé du succès de l'évangélisation. Accueillons ces invitations de Jésus : que ses paroles soient notre point de référence.


5. Le protagoniste de l’annonce : l’Esprit Saint

Dans notre itinéraire de catéchèse sur la passion d’évangéliser, aujourd'hui repartons des paroles de Jésus que nous avons entendues : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28,19). Allez, - dit le Ressuscité -, non pas pour endoctriner, non pas pour faire des prosélytes, mais pour faire des disciples, c'est-à-dire pour donner à chacun la possibilité d'entrer en contact avec Jésus, de le connaître et de l'aimer en toute liberté. Allez et baptisez : baptiser signifie immerger et donc, avant d'indiquer une action liturgique, il exprime une action vitale : immerger sa vie dans le Père, dans le Fils, dans l'Esprit Saint ; expérimenter chaque jour la joie de la présence de Dieu qui nous est proche comme Père, comme Frère, comme Esprit qui agit en nous, dans notre propre esprit. Baptiser c’est s’immerger dans la Trinité.


Lorsque Jésus dit à ses disciples - et aussi à nous - "Allez !", il ne communique pas seulement une parole. Non. Il communique ensemble l'Esprit Saint, car c'est seulement par Lui, l'Esprit Saint, que l'on peut recevoir la mission du Christ et la réaliser (cf. Jn 20, 21-22). Les Apôtres, en effet, restent enfermés dans le Cénacle, par peur, et jusqu'au jour de la Pentecôte où l'Esprit Saint descend sur eux (cf. Ac 2, 1-13). Et à ce moment-là, la peur se dissipe et avec sa force, ces pêcheurs, pour la plupart sans instruction, vont changer le monde. "Mais s'ils ne savent pas parler...". Mais c'est la parole de l'Esprit, la force de l'Esprit qui les entraîne pour changer le monde. L’annonce de l'Évangile ne se réalise donc que dans la force de l'Esprit, qui précède les missionnaires et prépare les cœurs : c'est Lui le “moteur de l'évangélisation”.


Nous le découvrons dans les Actes des Apôtres, où, à chaque page, nous constatons que le protagoniste de l'annonce n'est ni Pierre, ni Paul, ni Etienne, ni Philippe, mais c’est l'Esprit Saint. Toujours dans les Actes, on raconte un moment décisif des débuts de l'Église, qui peut aussi nous en dire long. À l'époque, comme aujourd'hui, ensemble avec les consolations les tribulations ne manquaient pas, - des moments heureux et des moments moins heureux - les joies s'accompagnaient de soucis, les deux choses ensemble. Une d'elles en particulier était par exemple comment se comporter avec les païens qui venaient à la foi, avec ceux qui n'appartenaient pas au peuple juif. Etaient-ils, oui ou non, tenus d'observer les prescriptions de la loi de Moïse ? Ce n'était pas une mince affaire pour ces gens. Deux groupes se forment ainsi, entre ceux qui considéraient l'observance de la Loi comme indispensable et les autres non. Pour discerner, les Apôtres se réunissent, dans ce qu'on appellera le "Concile de Jérusalem", le premier de l'histoire. Comment résoudre le dilemme ? On aurait pu chercher un bon compromis entre tradition et innovation : certaines règles doivent être respectées, et d'autres laissées de côté. Pourtant, les Apôtres ne suivent pas cette sagesse humaine à la recherche d'un équilibre diplomatique entre l'un et l'autre, ils ne le font pas, mais s'adaptent à l'œuvre de l'Esprit, qui les avait devancés, en descendant sur les païens comme sur eux.


Et donc, en supprimant presque toutes les obligations liées à la Loi, ils communiquent les décisions finales, prises – et ils écrivent ainsi : - "par l'Esprit Saint et nous-mêmes" (cf. Ac 15,28) voilà ce qui est décidé, le Saint-Esprit avec nous, c'est ainsi qu’agissent toujours les Apôtres. Ensemble, sans se diviser, même s'ils avaient des sensibilités et des opinions différentes, ils se mettent à l'écoute de l'Esprit. Et Il enseigne une chose, valable aussi aujourd'hui : toute tradition religieuse est utile si elle favorise la rencontre avec Jésus, toute tradition religieuse est utile si elle favorise la rencontre avec Jésus. Nous pourrions dire que la décision historique du premier Concile, dont nous bénéficions également, fut motivée par un principe, le principe de l'annonce : dans l'Église, tout doit être conforme aux exigences de l'annonce de l'Évangile ; non pas aux opinions des conservateurs ou des progressistes, mais au fait que Jésus puisse entrer dans la vie des gens. Par conséquent, tout choix, tout usage, toute structure et toute tradition doivent être évalués selon le critère où ils favorisent l'annonce du Christ. Quand on trouve des décisions dans l'Église, par exemple des divisions idéologiques : " Je suis conservateur parce que... je suis progressiste parce que... ". Mais où est l'Esprit Saint ? Faites attention l'Évangile n'est pas une idée, l'Évangile n'est pas une idéologie : l'Évangile est une annonce qui touche le cœur et qui te fait changer de cœur, mais si tu te réfugies dans une idée, dans une idéologie qu'elle soit de droite ou de gauche ou du centre, tu es en train de faire de l'Évangile un parti politique, une idéologie, un club de personnes. L'Évangile te donne toujours cette liberté de l'Esprit qui agit en toi et te fait avancer. Et combien est-il nécessaire aujourd'hui de retrouver la liberté de l'Évangile et de nous laisser conduire par l'Esprit.


Ainsi l'Esprit éclaire le chemin de l'Église, toujours. En effet, Il n'est pas seulement la lumière des cœurs, Il est la lumière qui oriente l'Église : Il fait la clarté, aide à distinguer, aide à discerner. C'est pourquoi il est nécessaire de L'invoquer souvent ; faisons-le plus encore aujourd'hui, au début du Carême. Car comme Église, nous pouvons avoir des temps et des espaces bien définis, des communautés, des instituts et des mouvements bien organisés, mais sans l'Esprit, tout reste sans âme. L'organisation ne suffit pas : c'est l'Esprit qui donne vie à l'Église. L'Église, si elle ne Le prie pas et ne l'invoque pas, se replie sur elle-même, dans des débats stériles et épuisants, dans des polarisations lassantes, tandis que la flamme de la mission s'éteint. C'est bien triste de voir l'Église comme si elle était un parlement ; non, l'Église est autre chose. L'Eglise est la communauté d'hommes et de femmes qui croient et annoncent Jésus-Christ, mais mus par l'Esprit Saint, et non par leurs propres raisons. Oui, on utilise sa raison mais l'Esprit vient l'éclairer et la mouvoir. L'Esprit, nous fait sortir, nous pousse à proclamer la foi pour nous confirmer dans la foi, nous pousse à partir en mission pour retrouver qui nous sommes. C'est pourquoi l'apôtre Paul recommande ceci : "N'éteignez pas l'Esprit" (1 Th 5,19). N'éteignez pas l'Esprit. Prions souvent l'Esprit, invoquons-le, demandons-lui chaque jour d'allumer en nous sa lumière. Faisons-le avant chaque rencontre, pour devenir des apôtres de Jésus auprès des personnes que nous rencontrons. Ne pas éteindre l'Esprit dans les communautés chrétiennes et aussi en chacun de nous.


Chers frères et sœurs, comme Église, partons et repartons de l'Esprit Saint. « Il est sans doute important que, dans notre planification pastorale, nous partions des enquêtes sociologiques, des analyses, de la liste des difficultés, de la liste des attentes et des réclamations. Cependant, il est bien plus important de partir des expériences de l'Esprit : c'est là le vrai point de départ. Et il faut donc les rechercher, les répertorier, les étudier, les interpréter. C'est un principe fondamental qui, dans la vie spirituelle, s'appelle la primauté de la consolation sur la désolation. D'abord il y a l'Esprit qui console, ranime, éclaire, meut ; ensuite il y aura aussi la désolation, la souffrance, les ténèbres, mais le principe pour s'ajuster dans les ténèbres est la lumière de l'Esprit » (C.M. MARTINI, Evangéliser dans la consolation de l'Esprit, 25 septembre 1997). C'est le principe pour nous réguler dans les choses que nous ne comprenons pas, dans les confusions, même dans les plus sombres, c'est important. Demandons-nous si nous nous ouvrons à cette lumière, si nous lui donnons de l'espace : est-ce que j'invoque l'Esprit ? Que chacun réponde en son for intérieur. Combien d'entre nous prient l'Esprit ? "Non, Père, je prie la Vierge, je prie les Saints, je prie Jésus, mais parfois, je prie le Notre Père, je prie le Père" - "Et l'Esprit ? Tu ne pries pas l'Esprit, qui est celui qui fait mouvoir ton cœur, qui t'apporte la consolation, qui t'apporte le désir d'évangéliser et de faire la mission ?". Je vous laisse avec cette question : est-ce que je prie l'Esprit Saint ? Est-ce que je me laisse guider par Lui, qui m'invite à ne pas me replier sur moi-même mais à porter Jésus, à témoigner de la primauté de la consolation de Dieu sur la désolation du monde ? Que la Vierge, qui a bien compris cela, nous le fasse comprendre.




PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Salle Paul VI Mercredi 11 janvier au Mercredi 22 février 2023

 

Source : Site du Vatican



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