Frère Nicolas Morin - Franciscain
Dans son village de Samarie, c’est à peine si on la regarde. Aux yeux des hommes, c’est la femme facile, dont on abuse la nuit et que l’on ignore le jour. Pour tous, c’est la femme aux six maris. Alors, elle sort de sa maison à l’heure où les autres rentrent, rasant les murs jusqu’au puits pour y puiser l’eau quotidienne. Elle porte en elle une blessure et un appel : un homme saura-t-il un jour l’aimer pour elle-même, la regarder sans forcément la désirer ?
Devinez son étonnement quand, arrivant au puits, elle voit un homme assis au bord de la margelle. Un homme, et un juif. Cela fait des générations que les juifs ne parlent plus aux Samaritains, rangés du côté des sectes et des impurs. Et voilà que cet homme lui adresse la parole : « Donne-moi à boire. » Jésus a soif et mendie de l’eau. La femme est surprise et choquée. « Comment ! Toi qui es juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme Samaritaine ? » Jésus transgresse tous les tabous, toutes les frontières invisibles dressées entre les hommes. Parce que Jésus n’a que faire des apparences. « Donne-moi à boire. » La manière dont Jésus entre en relation avec cette femme fragile, brisée, est très touchante. Il sait combien elle a une image négative d’elle-même. Il ne la juge pas, ne la condamne pas. Il ne se montre pas condescendant, ne lui fait pas la morale. Il vient vers elle comme un mendiant fatigué, assoiffé, lui demandant de faire quelque chose pour lui. Jésus entre en dialogue et entame une relation avec elle. Elle qui n’a plus aucune confiance en sa propre valeur, voici que Jésus lui fait confiance. Ce faisant, il la relève et lui redonne sa dignité. « Donne-moi à boire. » Jésus vient révéler en cette femme une source cachée, une source qui ne demande qu’à jaillir. Dans sa recherche éperdue de reconnaissance, personne n’a jamais aidé cette femme à désensabler la source intérieure.
Une deuxième fois, Jésus demandera à boire, sur la croix : « J’ai soif. » Quelle est donc la soif de Jésus ? La vocation de Mère Teresa de Calcutta me l’a fait comprendre. Religieuse dans un pensionnat pour jeunes filles de la bourgeoisie de Calcutta, Mère Teresa avait pris le train pour aller faire sa retraite annuelle. En première classe afin de ne pas être importunée ! Regardant par la fenêtre du wagon, elle voit tous ces mendiants tendant la main, quémandant un bout de pain et un peu d’eau. Elle entend alors une voix intérieure qu’elle ne peut chasser : « J’ai soif. » Cette voix, c’est à la fois la clameur des pauvres et l’appel pressent de Jésus. A son retour de retraite, elle demande la permission d’aller vivre au beau milieu d’un bidonville. Elle s’était connectée à la source intérieure qui ne cessera de jaillir pour désaltérer les mendiants des rues.
Jésus poursuit le dialogue et dit à cette femme : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : donne-moi à boire, c’est toi qui l’en aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive. » Le don de Dieu, c’est lui, Jésus, source vive.
Cette femme réagit d’abord au premier degré : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser et le puits est profond. D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? » « D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? » Cette eau, c’est la vie même de Dieu qui habite en nous et qui ne demande qu’à jaillir. L’eau est le symbole de l’Esprit, la vie même de Dieu que Jésus est venu nous faire partager. Jésus nous révèle que si nous buvons à la source de l’amour et de la compassion de Dieu, nous deviendrons à notre tour des sources d’amour et de compassion. Si nous accueillons l’Esprit de Dieu, nous donnerons l’Esprit de Dieu. La vie que nous recevons est celle que nous donnons.
La femme de Samarie est transformée par la rencontre avec Jésus. Désormais, elle n’a plus peur de ce qu’elle est, de son histoire tourmentée. Elle a croisé le regard de miséricorde de Jésus et elle va annoncer cette bonne nouvelle aux gens de son village : « Venez donc voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » Voilà un homme qui perce la vérité de sa vie, l’épaisseur de ses ténèbres intérieures, sans jamais la juger. Au contraire, elle se sent libérée d’un grand poids. Plus grande que sa misère, elle accueille la miséricorde. Elle s’ouvre enfin à la tendresse de Dieu. Elle sent sourdre en elle la source d’eau vive. Elle reconnaît en Jésus le Messie attendu, Celui qui l’engendre à la vie. « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » Ce qui était source de honte et qui l’obligeait à raser les murs devient le canal de la grâce, le lieu où Le Christ la rejoint. La vie même de cette femme est devenue fleuve d’eau vive pour tous ceux qu’elle croise. Elle, regardée par tous comme une pècheresse, devient disciple-missionnaire.
Puissions-nous redécouvrir la grâce de notre baptême, nous ouvrir à la source en nous qui ne demande qu’à jaillir. Puissions-nous être des témoins heureux, pacifiés de cette rencontre avec le Christ, du don qu’il fait de sa propre vie.
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